Lise Stoufflet
Calm Down
March 2 - April 22, 2023
Les toiles de Lise Stoufflet ont ceci de commun qu’elles présentent des situations à la fois arrêtées et menaçantes. S’y côtoient le paisible – une eau stagnante, un corps au repos, des figures contemplatives – et le trouble – la catastrophe, le monstre, le risque de blessure -. Entre les deux, une absence totale de corrélation : le danger ne suscite aucune réaction. Au contraire, l’exposition Calm down se déploie autour de cette ambiguïté qui consiste à voir la tranquillité comme source d’angoisse ou à entendre l’injonction à se calmer comme ce qui produit l’effet opposé. De fait, l’événement, l’étrange ou l’anormal se calquent sur un temps long qui est le propre de l’accalmie. Ils accèdent au statut d’image latente qui s’inscrit dans la durée et l’environnement plutôt que dans l’instant et la rupture. Ce qui est précisément intéressant ici, c’est que ces choses de l’ordre du caché et de l’intériorité (l’inconscient, le refoulé, le rêve) sont ainsi douées d’une réelle forme visuelle tout en échappant à la crise : nul doute sur la nature de ce que l’on voit. La vraie question porte sur les mécanismes magiques, ludiques ou imaginaires de l’image, ce qu’elle suscite ou révèle.
Afficher les artifices, pointer du doigt la fausseté de la représentation : Lise Stoufflet ne dissimule en rien la matérialité et la spécificité de la peinture. Il ne s’agit pas de faire illusion. Au contraire, la peinture affiche un méta-discours, elle désigne ses moyens et ses fonctions propres en représentant plastiquement ce qui n’est pas réel. Les formes sont essentialisées de façon générique, délestées de tout détail superflu et liées entre elles par un filtre ambiant et scénographique comme une signalétique émotionnelle. Rouge, bleu, orange correspondent à un état psychique sans pour autant entrer dans le domaine du symbolique. Il s’agirait plus exactement de lier chaque gamme de couleur à une situation spécifique comme une catégorie d’effets dans un jeu qui garde ses règles secrètes.
Il en va d’une peinture qui donne un statut sémiotique à la représentation, c’est-à-dire qu’elle lui confère le pouvoir de créer des signes autonomes car affranchis de la narratologie commune. Ces situations pourraient tout simplement être considérées, rhétoriquement, comme diverses figures de substitution : métonymie, mise en abîme, métalepse, analogie ; formes qui bouleversent les mécanismes logiques du récit en les remplaçant par une suite absurde ou une simultanéité discordante. La chose n’est pas comme le bon sens voudrait qu’elle soit et c’est là qu’opère le signe : l’image est dans le débordement, l’éclatement, le circulaire, non dans la lecture linéaire. Alors, l’image révèle sa véritable nature : celle d’un bâtisseur de mystères et d’énigmes qui pétrit les matières fluides dans une forme concrète. Parce qu’elle échappe à l’interprétation et à l’explication, cette image s’appréhende par d’autres biais. Peut-être par celui qu’André Breton appelle “l’épreuve du réveil”, c’est-à-dire en fonction de l’émotion que l’œuvre procure lorsque le dormeur la découvre en se réveillant.
Elora Weill-Engerer
Critique d’art et Commissaire d’exposition