Il existe en Angleterre une ligne diagonale presque invisible appelée The Fosse Way. Si l’on tape “Fosse” sur Google Maps, une série de points rouges apparaît, formant une ligne du sud-ouest au nord-est du pays. Des établissements de toutes sortes, des services de conseil, des écoles, des centres automobiles, des parkings et même une prison, portent le nom de cette ancienne route. En zoomant avec la vue satellite, on distingue une ligne presque parfaitement droite reliant ces lieux. Cette voie romaine, tracée il y a deux mille ans, a presque disparu sous sa forme originale, mais son fantôme subsiste dans le paysage contemporain : on la retrouve par fragments dans des autoroutes, des chemins de campagne, des sentiers de marche, des pistes d’aéroport, des allées privées, ou parfois simplement sous la forme d’une clôture ou d’un alignement d’arbres séparant deux terrains.
On pourrait appeler ce phénomène un palimpseste, mais ce terme ne suffit pas à le décrire. Le palimpseste désigne la pratique ancienne qui consistait à réutiliser un parchemin en grattant la couche supérieure pour y écrire un nouveau texte, laissant apparaître des traces de l’ancien dessous. Mais dans ce processus, le nouveau texte n’était pas influencé par le précédent, il partageait seulement le même support. Les formes historiques, comme The Fosse Way, possèdent quant à elles une persistance : elles orientent les corps et modèlent les paysages à travers les générations, ajoutant une dimension spirituelle et psychologique. Je crois que lorsque nous marchons physiquement sur ces chemins ou que nous pénétrons dans ces espaces, nous entrons en communion avec les morts ; un inconscient collectif nous guide, et nous pouvons alors abandonner l’illusion individualiste du contrôle.
Les peintures et fresques qui composent cette exposition sont traversées par des tracés rigides, à la fois arbitraires et planifiés. Dans l’une, une série d’objets bleus aléatoires s’aligne avec une mince bande de ciel visible au bas d’une fenêtre ; dans une autre, une grille se propage à travers l’architecture et les motifs décoratifs d’une pièce. Ce corpus est pour moi l’occasion de me concentrer sur une question que je me pose constamment dans l’atelier : combien de contrôle ai-je vraiment ? Et combien les images et les formes dans mon esprit sont-elles dictées par des voies bien tracées, établies avant moi ?
Chacune des œuvres de cette exposition renvoie à des espaces et à des événements vécus au cours de l’année écoulée : ma seconde grossesse, le fait d’élever deux jeunes enfants, de m’installer à la périphérie de la ville dans une maison avec jardin, d’avoir un atelier à domicile, et de façonner cet environnement en accord avec les esthétiques et les valeurs que nous souhaitons transmettre. Si chaque peinture suit sa propre logique, j’ai prolongé certaines lignes, couleurs et motifs des toiles sur les murs de la galerie. C’est la quatrième exposition personnelle que je présente dans cette même salle, dont l’architecture est désormais inscrite dans ma mémoire. Les fresques qui accompagnent les œuvres visent à faire entrer dans l’espace d’exposition ces questions d’histoire, de contrôle et de répétition intergénérationnelle, tout en reconnaissant l’influence durable que cette pièce a eue sur mon propre parcours.

 
                     
                     
                     
                     
                     
                     
                     
                     
                     
                     
                     
                    