Emily Ludwig Shaffer

Mary in Heaven and Joan in Bordeaux

May 4 - June 15, 2023

Emily Ludwig Shaffer makes reference to classic sculpture, all while erasing any erotic, masculine, or dominant view of the woman. In these paintings, spaces traditionally associated with women are portrayed as spaces of freedom, strength, and empowerment. Her work predominately features semi-enclosed environments, where intimacy soaks into the open and unique structures. Through the relationship between space and body, she paints a new type of portrait: one with clear technique and ambiguous references. Iconography created by the male gaze is replaced by complex and transitory states: boredom, friendship, doubt, and reflection. Yet, the opaque faces and bodies of these women reveal no specific characteristics and no clear intentions. Their identity is ostensibly instilled into generic, smooth elements that interlock with one another like architectural units. Using this hard-edge aesthetic, the artist subverts the minimal lines and the solid blocks of cool colours associated with masculinity, by combining them with a colour palette and a collection of objects that are commonly asso ciated with femininity: flowers, fruit, ornaments, and drapes. Above all, she reverses the ideology inherent in the history of art, presented by Griselda Pollock and Rozsika Parker in Stéréotypes fondamentaux : essence féminine et féminité essentielle (1981): that the hierarchy of genders corresponds to a hierarchy of artistic genres, associating masculinity with technicality and scale. Emily Ludwig Shaffer characteristically uses painting as a principal medium, but she infuses this with reflections about architecture, perspective, sculpture, and modelling. It is therefore particularly interesting to see that this very formal work is animated by a profound critical engagement, focusing precisely on the way the images are constructed.

The titles are often composed of iconic names that the artist draws from various sources, including the Mesopotamian goddesses at the Pergamon Museum in Berlin and historical or religious figures, such as Mary. For example, Oh, Joan is inspired by the history of princess Joan of England, the daughter of Edward III, who was sent to marry a Castilian prince at the age of 14. Despite warnings about a mysterious illness ravaging France, her journey went ahead and the young princess contracted the illness at Bordeaux, becoming a victim of what would become known as the Black Death. She would never reach Spain. Emily Ludwig Shaffer pays homage to this forgotten figure, by portraying her in an empty chair about to leave the dock of a deserted town.

The marbleisation, or petrification, of these female forms in everyday situations naturally makes one think of a Pygmalion myth, but without Pygmalion. When Adèle Haenel began the #MeToo movement for French cinema by accusing director Christophe Ruggias of harassment and sexual assault, the director defended himself by saying he wanted to “play Pygmalion” (source: Médiapart). This response, far from being harmless, reveals the logic of patriarchal domination that runs through creation. Pygmalion, who rejects the love of women, only falls in love with the statue he created and brought to life: he can only love what he has made with his own hands. In opposition to this objectification of the female body, which serves as a condition for beauty and pure love, the art of Emily Ludwig Shaffer presents lone statues, marching into the middle – if you’ll excuse the pun – of a no- man’s land. And her statues also talk. In Shadow (Eurydice Speaks) (2018), Elfriede Jelinek, winner of the Nobel Prize in literature, presents a feminist rereading of the myth of Orpheus and Eurydice, in which Eurydice, who has become shadow, finds her voice and comes to fear, above all, being with her narcissistic rocker husband again. Free from her appearance and her dependence, she finally takes “possession of herself and her body, now that they’re gone.”

 

Elora Weill-Engerer

Emily Ludwig Shaffer déploie des références à la statuaire classique en la défaisant de toute vision érotisante, masculine et dominante de la femme. Les espaces traditionnellement associés aux femmes sont convoqués dans ces peintures comme espaces de liberté, de force, d’empowerment. Sont ainsi privilégiés des environnements semi-clos où l’intimité est absorbée dans des structures franches et univoques. C’est dans les rapports de l’espace et du corps que se brosse un portrait d’un nouveau type : net dans sa facture et ambigu dans son référent. L’iconographie créée par le male gaze est remplacée par des états transitoires et complexes : l’ennui, l’amitié, le doute, la réflexion. Pour autant, les visages et les corps opacifiés de ces femmes ne laissent transparaître aucune caractéristique spécifique ou intention claire. Leur identité est apparemment infusée dans des éléments génériques et lisses qui s’imbriquent les uns aux autres comme des modules architecturaux. Dans cette esthétique hard-edge, l’artiste entreprend une subversion du trait minimal et de l’aplat froid, associés au masculin, en les conjuguant à une palette de couleurs et à un ensemble d’objets ancrés dans la pensée commune comme étant féminins : fleurs, fruits, ornements, drapés. Surtout, elle opère un renversement des rouages idéologiques de l’histoire de l’art, pointé par Griselda Pollock et Rozsika Parker dans Stéréotypes fondamentaux : essence féminine et féminité essentielle (1981) : la hiérarchisation des genres (gender) correspondrait à la hiérarchisation des genres (artistiques), associant le masculin à la technicité et au monumental. De manière symptomatique, Emily Ludwig Shaffer utilise la peinture comme medium principal, mais elle l’imprègne de considérations sur l’architecture, la perspective, le modelage ou la modélisation. Il est donc particulièrement intéressant de voir comment ce travail très formel est animé d’un profond engagement critique, porté sur, précisément, la manière dont se construisent les images.

 

Les titres sont souvent constitués d’un nom iconique, que l’artiste puise dans diverses sources : les déesses mésopotamiennes conservées au Musée Pergamon à Berlin ou les figures historiques ou religieuses (Marie / Mary). Par exemple, Oh, Joan est inspiré de l’histoire de la princesse Joan d’Angleterre, fille d’Edward III, envoyée à 14 ans pour épouser un prince de Castille. Alors que sa suite est alertée d’une mystérieuse maladie qui ravage la France, le voyage est maintenu et la jeune princesse contracte la maladie à Bordeaux, devenant la victime de ce qui sera connu sous le nom de Peste noire. Elle n’atteindra jamais l’Espagne. La peinture d’Emily Ludwig Shaffer rend hommage à cette figure oubliée, en l’incarnant dans une chaise vide sur le point de quitter le ponton d’une ville déserte.

 

La marmorisation ou pétrification de ces corps féminins dans une situation quotidienne ferait naturellement penser à un mythe de Pygmalion débarrassé de Pygmalion. Lorsque Adèle Haenel initie le #MeToo du cinéma français en accusant le réalisateur Christophe Ruggias de harcèlement et d’agression sexuelle, le réalisateur se défend en disant avoir voulu « jouer les pygmalions » (source : Médiapart). Cette réponse, loin d’être anodine, témoigne de la logique de domination patriarcale qui passe par la création. Pygmalion, qui rejette l’amour des femmes, ne tombe amoureux que de la statue qu’il a créée et qui prend vie : il ne peut aimer que ce qu’il a façonné de ses mains. À cette objectification du corps féminin comme condition de la beauté et de l’amour pur, la pratique plastique d’Emily Ludwig Shaffer oppose des statues seules, en marche au milieu – sans mauvais jeu de mot – d’un no man’s land. Ces statues parlent aussi. Dans Ombre (Eurydice parle) (2018), Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature, opère une relecture féministe du mythe d’Orphée et Eurydice dans laquelle Eurydice, devenue ombre, libère sa parole et redoute par dessus tout que son mari, un rockeur narcissique, la rejoigne. Délestée de son apparence et de la dépendance, elle prend enfin « possession de soi-même et de son corps, maintenant qu’ils ne sont plus ».

 

Elora Weill-Engerer